Toutes les personnes qui visitent Scamandre finissent par poser la question : “Vous avez toujours voulu faire du vin?”. Il nous faut alors avouer que ce projet est né de la rencontre fortuite avec un peintre : Pierre-Marie Brisson. De nombreuses visites de son atelier à partir de l’année 2000 ont forgé une amitié. Et c’est un soir particulièrement dédié à Bacchus qu’a surgi la phrase “Et si on faisait notre vin?”. Nadine a immédiatement froncé les sourcils. Avec Pierre-Marie, nous avons réussi à la convaincre : “ce ne sera pas grand chose, juste quelques bouteilles entre copains… pour dire”. Pierre-Marie avait quelques vignes, il suffisait de trouver un mas et l'affaire était close. Le doigt venait de rentrer dans le fameux engrenage. Tout le corps n’allait pas tarder à être englouti. 20 ans plus tard, nous voilà avec 30 hectares dont 17 de vignes, 6 collaborateurs, le souvenir de nuits blanches et parfois d’idées noires, et au final, le sentiment d’avoir créé de toutes pièces un “truc” merveilleux.
Rien n’aurait été possible sans la rencontre de Stéphane Beuret, jeune et déjà talentueux œnologue qui travaillait pour un grand domaine bordelais. Il nous a apporté son savoir (encyclopédique) et nous a aidé dans l'élaboration et la conduite du projet. Nous passions tellement de temps au téléphone avec lui pour monter ce projet que nos filles, Erell et Nolwenn, ont fini par l'adopter officiellement comme “Grand Frère”. Stéphane est associé avec nous dans la gestion du domaine.
Dès les premières vendanges en 2003, nous avons appliqué les grands principes fondateurs du domaine : vendanges manuelles, tri drastique des baies de raisin, élevages longs… et ce, au milieu d’un champ de luzerne sur lequel n’était pas encore construit le chai! On peut trouver un côté sympathique, limite romantique, à ce début d’aventure, mais il faut bien avouer que cela a été une première période très difficile. Les conditions étaient rock and roll : les cuves de vinifications étaient en extérieur et le stockage des barriques s’est fait dans des containers à bateau. Malgré cela, la cuvée 2003 fut notée 18,5/20 par M. Tasaki, meilleur sommelier du monde en 1995. Ce fut une belle récompense qui a contribué à effacer les nuits à dormir dans la voiture pour éviter les vols ainsi que les fins de vendanges avec seulement 2 vendangeurs, tous les autres ayant laissé tomber les “parisiens”.
Cette première distinction a également légitimé notre démarche, sincère, de magnifier ce terroir du sud de la Vallée du Rhône, que nous avons vite identifié comme étant largement sous-estimé. Nous bénéficions pourtant d’un terroir exceptionnel : notre sous-sol se compose de galets et de 15 à 18 mètres d’argiles qui stockent les pluies d’hiver, permettant aux vignes de traverser les étés secs. Par ailleurs, l’étang de Scamandre, qui se situe au sud de la propriété et qui donne son nom à notre domaine, participe à la création d’une bulle thermique qui génère un microclimat très propice à la culture de la vigne.
Persuadés que c’est par la vitalité de son sol que s’exprime le terroir, nous avons rompu dès le départ avec des années de culture chimique, alors quasiment la norme en viticulture, commençant en lutte raisonnée et passant en culture bio à partir de 2007. Le chemin fut long mais le travail du sol fut payant quand, au bout de quelques années, nous avons trouvé nos premiers vers de terre. Cela peut paraître anecdotique mais c’était le témoignage objectif que notre sol était redevenu vivant. Nous avons par ailleurs été l’une des premières exploitations viticoles françaises à s’engager dans l’agroforesterie, en partenariat avec la SCOP Agroof et la Fondation Yves Rocher. Depuis 2007, plus de 2000 arbres ont été plantés sur le domaine, autour ou dans les parcelles, participant au développement de la biodiversité du sol. Ils permettent également d’attirer les chauves-souris qui nous aident à réguler la présence d’insectes prédateurs des vignes. Des haies abritent par ailleurs oiseaux, lézards et autres animaux qui font de Scamandre un oasis de biodiversité.
À Scamandre, nous produisons aussi du miel et de l’huile d’olives particulièrement appréciés. Enfin, tout au long de l’été, nous pouvons profiter des fruits et légumes du domaine.
Depuis 20 ans, le domaine s’est considérablement transformé, comme en témoignent les photos « avant/après » qui jalonnent cet ouvrage. L’intérieur du chai n’a pas été oublié, avec l’aménagement d’une cuisine professionnelle dédiée au partage.
Dès l’origine, l’envie était là de faire découvrir nos vins autour de repas dans une ambiance intimiste directement inspirée de l’ancienne Table de Dominique Bouchet, rue Treilhard à Paris. La cuisine a été conçue dans cette optique.
À partir de 2014, avec notre gendre Julien Dussert qui avait travaillé comme sommelier chez de grands chefs étoilés, nous avons lancé les “Tables de Scamandre ». Le concept était simple : accueillir 8 personnes chaque mois au comptoir, leur proposer un menu gastronomique pensé autour des accords mets et vins, et cuisiner les plats devant eux, sans autre prétention que d’être des amateurs passionnés.
Cette belle (mais épuisante) aventure a duré 5 ans au cours desquels nous avons élaboré 20 recettes, avec à cœur de mettre en valeur les produits de Camargue.
À l’occasion des 20 ans de notre domaine, nous vous en partagerons une sélection, en espérant que vous trouverez autant de plaisir que nous à les cuisiner et à les déguster !
Nadine & Franck Renouard
et toute l’équipe Scamandre